Mario Malouin à Radio-Canada: Les centres de données et la conformité juridique

Dans l’émission Sur le vif de Radio-Canada du 18 juin 2025, animée par Maude Rivard, un sujet d’actualité soulève de nombreuses réactions dans la région de Gatineau : le refus par Hydro-Québec d’octroyer un bloc énergétique à un projet de centre de données d’envergure, malgré le soutien de la Ville de Gatineau. Cette décision, qui prive la région de retombées économiques importantes, relance le débat sur la souveraineté numérique.

Pour en discuter, Sur le vif a reçu Mario Malouin, professeur à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et chercheur au CIRICS (Centre interdisciplinaire de recherche et d’innovation en cybersécurité et société). En direct depuis un colloque international en Tunisie, il éclaire les auditeurs sur les enjeux liés à la gestion et à la protection des données numériques au Québec et à l’échelle mondiale.

📄 Transcription complète de l’entrevue

Maude Rivard (animatrice) :
On vous parlait hier du projet de centre de données de l’entreprise Gatineau Data Hub, qui est compromis faute d’avoir accès à un bloc d’énergie, d’électricité. Hydro-Québec leur a refusé les quelque 50 mégawatts nécessaires à la réalisation du projet, malgré l’appui de la Ville de Gatineau et de multiples demandes de clients. Selon les promoteurs, le centre de données aurait engendré des retombées économiques importantes pour la région.

Mais nous, aujourd’hui, on s’intéresse à l’importance de gérer nos données sur notre territoire, ce qu’on appelle la souveraineté numérique. Pour en parler, on joint le professeur à l’UQO et chercheur au CIRICS, actuellement en Tunisie pour un colloque international : Mario Malouin, bonjour.

Mario Malouin :
Bonjour, madame.

Maude Rivard :
Quand on parle de souveraineté numérique, à quoi on fait allusion?

Mario Malouin :
C’est une bonne question. Vous savez, la donnée devient un actif intangible, important dans nos vies, que ce soit pour la donnée médicale ou en matière de sécurité nationale. Nos données, le numérique dans lequel on baigne, ont un impact direct sur la vie de tous les Canadiens et Canadiennes.

Quand on parle de souveraineté, à mon avis, il faut se poser des questions fondamentales sur : quelle est notre stratégie en matière de données? Que ce soit pour la collecte, la sauvegarde ou l’utilisation. Sous quelles lois veut-on encadrer cette collecte et cette utilisation?

Derrière ça, il faut vraiment une stratégie nationale, mais aussi provinciale. C’est super important quand on parle de souveraineté numérique.

Maude Rivard :
Est-ce qu’on a des inquiétudes à avoir présentement sur cette souveraineté, sur la protection de nos données?

Mario Malouin :
Il y a deux aspects : d’abord, le volet technologique, ensuite le cadre légal. La loi donne un cadre, dicte un comportement attendu. Mais on sait très bien que ce n’est pas tout le monde qui respecte la loi. Donc, il faut aussi miser sur le comment, et là entre en jeu la technologie.

Maude Rivard :
Concrètement, ça veut dire quoi? Si une loi canadienne interdit le partage de données, ça veut dire qu’il y aura quand même des gens qui vont la contourner?

Mario Malouin :
Exactement. C’est pour ça qu’on parle de cyberattaques. Des gens vont toujours avoir un intérêt à voler de la donnée : médicale, économique, commerciale, sécurité nationale. La donnée devient un actif intangible, mais crucial dans le monde dans lequel on vit. Il faut donc se doter d’une stratégie solide pour protéger ces données, car ça touche directement la sécurité globale.

Maude Rivard :
Ça prend notamment des pare-feux technologiques?

Mario Malouin :
Oui, mais bien au-delà. Lorsqu’on parle d’attaque et défense, on est toujours en retard sur les attaquants. Il n’y a aucun système parfait. La meilleure défense, c’est de penser comme un attaquant : se demander « que pourraient-ils faire avec les contrôles qu’on a mis en place, et comment on améliore ces contrôles? ».

Avec l’informatique quantique qui s’en vient, les moyens actuels de protection vont devenir obsolètes. La technologie vieillit vite; il y aura toujours une nouvelle technologie plus puissante, plus performante.

Maude Rivard :
Il ne faut pas être à la remorque, il faut essayer de prévoir, ce qui n’est pas évident. Dans quels domaines c’est particulièrement névralgique : finances, santé, énergie?

Mario Malouin :
Tout ce que vous dites est vrai. Certains pays sont plus sensibles que d’autres selon le secteur. On a vu le secteur de la santé particulièrement visé durant la pandémie, notamment aux États-Unis. Ce sont des données sensibles, collectées massivement. Et malheureusement, les ressources financières ne sont pas illimitées. Donc, même si on veut faire mieux, il y aura toujours un certain niveau de risque, faute de moyens.

Maude Rivard :
Et vous êtes en Tunisie pour participer à un colloque international que vous avez initié. De quoi est-il question?

Mario Malouin :
Oui. Je vais faire le lien avec ce qu’on disait plus tôt. Je crois qu’on a un enjeu de société majeur, et ça commence par l’éducation. Il faut éduquer les gens à l’importance de leurs données personnelles. Savent-ils vraiment ce qu’ils partagent sur les réseaux sociaux?

Le colloque que nous organisons est rendu à sa 7e édition. On y donne aujourd’hui une saveur hautement technologique. Cette année, on met l’accent sur trois thématiques : l’intelligence artificielle, la gestion des données, et la protection face aux nouvelles menaces comme les cyberattaques. L’idée, c’est vraiment de favoriser le partage de bonnes pratiques entre chercheurs et doctorants dans différents domaines.

Maude Rivard :
Diriez-vous qu’à l’international, il y a un éveil plus marqué qu’au Canada?

Mario Malouin :
J’ai des collègues au Canada, en Tunisie, au Maroc. Les enjeux sont les mêmes partout. Le problème, c’est que la menace est mondiale, mais les solutions sont souvent nationales. Il n’y a pas d’uniformité. C’est un des défis en cybersécurité.

Maude Rivard :
Mario Malouin, professeur à l’UQO et chercheur au CIRICS, merci beaucoup et bon colloque.

Mario Malouin :
Merci, au revoir.

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